Électrifier le commerce intra-africain pour une libération structurelleier le commerce intra-africain pour une libération structurelle - ENA Français
Électrifier le commerce intra-africain pour une libération structurelleier le commerce intra-africain pour une libération structurelle

Un choc tarifaire révélateur
Le coup est tombé comme un éclair en plein ciel africain.
Le jour même où les peuples célébraient la Libération, les États-Unis, sous l’impulsion de l’administration Trump, imposaient des droits de douane massifs sur plusieurs produits africains.
Jusqu’à 50 % sur les textiles du Lesotho, 47 % sur la vanille malgache, 30 % sur les voitures sud-africaines. Derrière ces chiffres, une réalité brutale : des économies africaines jusque-là soutenues par l'AGOA (African Growth and Opportunity Act) sont soudainement coupées de leur principal débouché.
Mais derrière ce bouleversement se dessine une leçon essentielle : l’avenir de l’Afrique ne dépend pas des faveurs du Nord. Il repose sur sa capacité à construire un marché intégré, autonome et résilient. Et à ce titre, la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) devient plus qu’un projet ; elle est la planche de salut d’une souveraineté structurelle tant attendue.
Un système inéquitable
Le calcul tarifaire proposé par l’administration Trump – basé sur les déficits commerciaux bilatéraux – frôle l’absurde. Le Lesotho, par exemple, exporte pour 200 millions de dollars de textiles vers les États-Unis, mais n’importe que pour 3 millions. Résultat : 50 % de droits de douane sur ses exportations. Même logique punitive pour le cacao ivoirien ou les produits manufacturés ghanéens.
Le système pénalise les produits transformés, pourtant sources de valeur ajoutée, et favorise les exportations de matières premières brutes.
Une contradiction criante avec les objectifs initiaux de l’AGOA, qui devait justement encourager l’industrialisation africaine. Et les effets ne s’arrêtent pas aux frontières : lorsque l’Afrique du Sud est visée, c’est toute l’Afrique australe qui en souffre.
Les chaînes d’approvisionnement régionales sont brisées, les économies enclavées comme le Botswana en subissent de plein fouet les conséquences.
Un multilatéralisme affaibli
Face à ces mesures unilatérales, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) peine à jouer son rôle de régulateur.
Son mécanisme de règlement des différends est en crise, paralysant sa capacité à défendre les pays vulnérables. Pourtant, sa directrice générale, Ngozi Okonjo-Iweala, a lancé un appel clair depuis Séville : exclure l’Afrique et les pays les moins avancés de cette logique de réciprocité tarifaire injuste.
Car ces mesures compromettent la stabilité financière des pays en développement, et menacent la réalisation des Objectifs de développement durable.
Le commerce africain : un potentiel encore sous-exploité
Mais au-delà des appels à la modération, l’Afrique détient elle-même les clés de sa transformation. Son marché intérieur, encore largement fragmenté, ne représente que 16 à 20 % de son commerce total.
Pourtant, la ZLECA offre une opportunité inédite : un marché de 1,3 milliard d’habitants, pour une valeur estimée à 3 400 milliards de dollars d’ici 2030.
La réduction prévue de 90 % des droits de douane intra-africains n’est pas un simple ajustement technique : c’est un levier stratégique pour renforcer les industries locales, stimuler l’investissement, et résister à l’afflux de produits bon marché, notamment venus de Chine, dans un contexte de tensions globales.
Le temps de l’unité africaine
Les tentatives bilatérales ont montré leurs limites. Le Lesotho n’a obtenu que des concessions partielles.
La rencontre entre l’Afrique du Sud et Washington s’est soldée par des déclarations symboliques, sans changement concret. Il est temps de miser sur l’unité continentale.
Le président de l’Union africaine, João Lourenço, pourrait initier un nouveau pacte : ouvrir les marchés africains aux entreprises américaines en échange d’un allègement des droits sur les produits transformés africains, notamment dans les secteurs textile et agroalimentaire.
Car l’Afrique a des cartes à jouer : elle détient une part essentielle des minéraux critiques, comme le cobalt pour les batteries et le platine pour l’hydrogène, indispensables à la transition énergétique des économies occidentales. Ces ressources ne doivent plus être bradées.
Construire l’autonomie par l’intégration
La réponse à la fragmentation du commerce mondial, ce n’est pas l’isolement. C’est l’intégration continentale accélérée.
Les échanges expérimentaux entre le Kenya, le Ghana, l’Égypte et l’Afrique du Sud doivent devenir la norme. Les usines du Lesotho doivent être soutenues pour produire non plus pour le Wisconsin, mais pour Windhoek, Ouagadougou ou Kigali.
Les offres chinoises de libre accès doivent être utilisées de manière stratégique, sans recréer de nouvelles dépendances.
Comme le souligne Wamkele Mene, secrétaire général de la ZLECA :
« Aucun marché ne survivra seul. Notre population combinée est notre force. »