« Balayer le pas de porte des autres alors que le sien est sale »

Traduit de l'article anglais de Gezmu Edecha

« Comment peux-tu dire à ton frère : « Frère, laisse-moi ôter la paille de ton œil », alors que tu ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite, ôte d'abord la poutre de ton œil, et alors tu verras clair pour ôter la paille de l'œil de ton frère. »

Ces célèbres versets de la Bible m'ont traversé l'esprit alors que je regardais le président érythréen Isaias Afewerki tenir sa récente conférence de presse de deux heures. Il se tenait devant les caméras, non pas pour réfléchir à la souffrance de son peuple, ni pour offrir une vision d'avenir, mais pour tenir un discours philosophique sur la politique mondiale. C'était un moment surréaliste, un président pontifiant sur les affaires mondiales alors que son propre pays étouffait sous son règne. Lorsque les journalistes l'ont pressé de questions sur l'Érythrée elle-même, il les a écartés d'un geste de la main en disant « Pas le temps maintenant ». Cette réponse en disait long.

Tout au long du règne d'Afeworki, l'Érythrée n'a jamais reflété les opinions de son peuple. « L'Érythrée d'Afeworki » est une terre aux frontières fermées, aux bouches fermées et à l'avenir fermé.

En Érythrée, il n'y a pas de constitution. Pas d'élections. Pas de presse libre. Il n'y a pas de responsabilité exécutive. Le pays est pris en otage par un seul homme. Afeworki revendique le droit de critiquer les autres tout en réduisant au silence la dissidence, en écrasant des générations et en construisant une économie esclavagiste de facto grâce à une conscription sans fin. Mais sur quelle base morale se fonde-t-il ?

Comment un dirigeant qui a si peu fait pour son propre peuple peut-il juger des gouvernements qui, aussi imparfaits soient-ils, ont déployé des efforts pour améliorer le sort de leur population ?

Le fiasco érythréen d'Afeworki

Je me souviens des premiers jours de l'indépendance de l'Érythrée, de la fierté et des espoirs qui animaient le peuple. La vision était audacieuse : l'Érythrée devait devenir le « Singapour de l'Afrique », un pays propre, efficace et discipliné qui s'élèverait sur la côte de la mer Rouge comme un modèle de développement postcolonial. Les Érythréens avaient consenti d'énormes sacrifices pour cette indépendance, et le monde les regardait avec admiration.

Ce n'était pas un rêve vain. Le peuple érythréen est créatif, résilient et extrêmement travailleur. Il est connu pour sa discipline, son amour du pays et sa volonté de construire. Si seulement son gouvernement avait honoré ces vertus, l'Érythrée aurait pu se hisser au rang des étoiles montantes du continent. Au lieu de cela, ce potentiel a été trahi.

Sous la direction d'Isaias, l'Érythrée est devenue un État garnison. Pas au sens figuré, mais littéralement. Les jeunes Érythréens sont enrôlés dans un « service national » sans fin, qui sape la vision, les rêves, la créativité et les aspirations de la jeunesse érythréenne en particulier et de la population en général. Avant l'indépendance, les Érythréens avaient des rêves : liberté, démocratie, développement, dignité, etc. Afeworki a réduit le destin de « son Érythrée » à un fiasco !

Une anecdote d'évasion

J'ai rencontré une fois à Addis-Abeba une jeune Érythréenne nommée Selam, qui s'était échappée après avoir passé plusieurs années à Sawa. Son crime ? Être une chrétienne évangélique qui aimait beaucoup prier. Ce choix lui a valu deux mois d'isolement cellulaire et la décision de fuir son pays natal pour le reste de sa vie.

« Je n'ai pas quitté l'Érythrée pour l'argent », m'a-t-elle dit. « Je suis partie parce que je voulais être traitée comme un être humain. »

Elle a marché pendant des jours dans le désert, a été retenue par des trafiquants au Soudan, puis a finalement atteint l'Éthiopie.

Selam n'est qu'une parmi des centaines de milliers de jeunes Érythréens. Chaque année, les étudiants les plus brillants d'Érythrée, qui ont des projets pour leur pays et leur famille, vivent une expérience horrible en entreprenant un périlleux voyage à travers les déserts et les mers. Beaucoup se noient en Méditerranée, périssent dans les prisons libyennes ou disparaissent le long des routes des passeurs. « L'Érythrée d'Afeworki » a conduit les jeunes à finir dans les déserts et les mers !

Sans le régime autoritaire d'Isaias, les jeunes Érythréens ne perdraient pas la vie. Ces esprits ne seraient pas détruits. Pire encore, Afeworki n'a aucune politique claire, ni économique ni politique, pour son peuple !

À l'inverse, l'Éthiopie est en plein essor.

De l'autre côté de la frontière, l'Éthiopie offre un tout autre tableau : celui d'un pays en proie à des difficultés, certes, mais aussi en pleine dynamique et en pleine mutation. Alors que l'Érythrée d'Isaias reste paralysée par la peur, l'Éthiopie s'impose comme l'une des économies africaines les plus dynamiques. Du gigantesque barrage GERD à la campagne de reboisement Green Legacy, de son adhésion au BRICS à la libéralisation de ses marchés, l'Éthiopie ne se contente pas d'avancer, elle bondit en avant.

Plus de trois millions d'emplois ont été créés en seulement deux ans. L'Éthiopie a construit des routes, des chemins de fer, des parcs industriels et lancé une initiative de transformation numérique visant à fournir des services de manière transparente. Le secteur privé est en pleine croissance, les étudiants universitaires obtiennent leur diplôme et les élections libres, malgré les défis, sont devenues une réalité.

Cela ne veut pas dire que l'Éthiopie est parfaite. Mais la différence avec l'Érythrée d'Afeworki est énorme. Alors que les Érythréens fuient pour échapper à la conscription sans fin, les Éthiopiens reviennent de la diaspora pour investir dans des entreprises, enseigner dans les universités ou simplement participer à cet élan.

Ne prétendons pas que ce contraste est le fruit du hasard. Ce n'est pas la faute du peuple érythréen si son pays s'est effondré. Addis-Abeba est en plein essor. Ce n'est pas la faute des jeunes Érythréens s'ils sont dispersés dans des camps de réfugiés et des centres de détention en Europe, en Israël et au Soudan.

L'Érythrée d'Afeworki, un pays captivé par le règne d'un seul homme, est un fiasco.

Alors que l'Éthiopie produit de l'énergie propre, l'Érythrée génère la peur ; l'Éthiopie ouvre ses frontières aux investissements, Afeworki transfère des armes, l'Éthiopie investit dans sa jeunesse, tandis que les jeunes Érythréens continuent de fuir en masse, la plupart d'entre eux se noyant malheureusement dans les mers et les océans.

Aujourd'hui, près d'un million d'Érythréens vivent hors de leur pays. Rien qu'en Éthiopie, plus de 700 000 réfugiés érythréens ont trouvé refuge et espoir. Ce n'est pas de la migration. C'est un exode. Mais combien d'Éthiopiens vivent en Érythrée ? Presque aucun !

Afeworki, seul exportateur d'insécurité de la région

La tragédie de l'Érythrée sous Afeworki n'est pas seulement un problème national, c'est aussi un problème régional. Depuis trois décennies, Isaias Afewerki est le principal exportateur d'insécurité de la Corne de l'Afrique. De son long conflit avec l'Éthiopie à son antagonisme envers Djibouti, en passant par son ingérence en Somalie et au Soudan et son refus constant de s'engager dans la voie diplomatique, son leadership a déstabilisé toute la région.

Imaginez une autre voie : si l'Érythrée était un acteur constructif, elle construirait des corridors commerciaux en mer Rouge, approfondirait ses liens avec l'Éthiopie et créerait des emplois transfrontaliers. Au lieu de cela, la région a dû dépenser son énergie à gérer l'antagonisme et la destruction orchestrés par Afeworki.

La voie à suivre

Il y a de l'espoir pour le peuple érythréen.

La position stratégique de l'Érythrée, sa riche culture et sa population disciplinée offrent encore d'énormes promesses, à condition d'être libérées de l'emprise d'Afeworki. Avec la paix et l'intégration, l'Érythrée pourrait devenir exactement ce dont elle rêvait autrefois : une porte d'entrée vers l'Afrique, un centre logistique, une puissance dynamique de la mer Rouge.

La paix avec l'Éthiopie n'est pas une menace, c'est la voie à suivre. Un intérêt commun, une énergie partagée, des ports partagés et une dignité partagée.

Si le port d'Assab renaissait en tant que port régional, les jeunes Éthiopiens et Érythréens s'engageraient ensemble dans des start-ups, et si l'Érythrée exportait l'électricité produite par le GERD éthiopien, cela permettrait à l'Éthiopie et à l'Érythrée de prospérer. Tout cela est possible. Mais pas sous le joug d'Afeworki.

Le peuple érythréen mérite le respect

Le peuple érythréen n'est pas brisé. Il n'est pas silencieux par nature, il a été réduit au silence. Il n'est pas pauvre par destin, il a été appauvri par la politique. Son avenir n'est pas perdu, il attend simplement un leader qui le libérera.

Le monde doit cesser de considérer l'Érythrée comme un État défaillant. Ce n'est pas seulement un État défaillant. C'est un État captif, dont le potentiel a été détourné par un homme qui ne gouverne pas dans l'intérêt du progrès, mais dans celui de la répression.

Alors que l'Éthiopie se redresse et que la Corne de l'Afrique se transforme, le monde doit écouter non pas la voix d'Afeworki, mais le murmure de millions d'Érythréens comme Selam.

C'est ce qui a rendu la dernière conférence de presse d'Isaias Afewerki si tragique et si révélatrice. Pendant deux longues heures, il a donné au monde une leçon de géopolitique, d'histoire et de philosophie. Mais il n'a jamais osé regarder son peuple dans les yeux. Il n'a jamais évoqué, pas même une seule fois, l'exil sans fin des jeunes Érythréens. Il n'a jamais parlé d'espoir, car il n'en a aucun à offrir.

Au final, ses paroles sont restées en suspens, détachées, défensives et finalement futiles. Un fiasco total !

Et lorsque les caméras se sont éteintes, l'exode a continué.

Remarque : les opinions exprimées dans cet éditorial sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de l'ENA.

Agence des nouvelles éthiopienne
2023